Le bâtiment qui se dressait devant moi était plus qu’imposant. Les pierres choisies pour édifier cette habitation donnaient un rendu plus qu’artistique. Sur le devant, nous pouvions voir des lignes droites, ne possédant aucunes courbes visibles. Tout était fait avec finesse et légèreté, ce que témoignent les deux statuettes d’or sur le palier de la porte. Les fenêtres de la maisonnée étaient d’une symétrie parfaite. Des masses de lierres s’occupaient de décorer un peu plus l’extérieur de cette immense maison. Il est évident que je venais ici plus que souvent. Mais à chaque fois que je m’approchais du lieu, c’était le même refrain. J’étais un adepte d’art, et cette beauté architecturale ne demandait qu’à être regardée. Je la contemplais donc, parfois pendant quelques minutes. Cependant, aujourd’hui, je ne puis guère m’extasier sur cette architecture. Je rentrai à l’intérieur du gîte.
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Oui, je venais m’expliquer auprès de Chimène. Oui, je voulais qu’elle accomplisse son devoir sans rechigner, tout de suite. Je ne savais point dans quelle salle elle se trouvait. Je restais quelques instants figé, pour réfléchir. C’est à ce moment-là que j’entendis mon amante parler, dans la pièce juste à côté de moi.
- Pour conserver ma gloire et finir mon ennui, le poursuivre, le perdre, et mourir après lui.
Tout de suite, je rentrai dans la salle où se trouvait ma bien-aimée, assise sur une chaise. Habillé d’une longue robe blanche, elle était plus resplendissante que jamais elle ne l’avait été. Elle fût plus qu’étonnée de me voir ici, en ces lieux, après avoir commis mon devoir funèbre. Chimène appela sans réponse sa gouvernante. Après cela, je baissais ma tête en direction de mon cœur. Je lui demandai avec tristesse de me pourfendre le crâne, pour apaiser sa colère, et bien évidemment venger l’honneur de son père. Après qu’elle ait rapidement refusé, je sortis mon épée trempée dans le sang du plus habile guerrier de l’Espagne, et la montra à Chimène.
- Quoi ! Du sang de mon père encor toute trempée ! dit avec stupéfaction la fille du défunt combattant.
Il semblait que la vue de sang l’effrayait encore. Elle tapa de la main un grand coup sur le plat de la lame, ce qui la fit tomber. Je ramassai le sabre et le présenta encore une fois à Chimène. Elle continua, et me dit de repartir sur-le-champ. Il fallait que je m’explique. Je me relevai de ma posture assez inconfortable, rangeai l’outil de ma vengeance, et commençai à éclaircir mon geste. J’étais assez maladroit, je dois dire, mais au fil du discours, je ressentis que Chimène avait compris mon geste. De la réponse de Chimène, je ne retiens que quelques phrases :
- Je sais ce que l’honneur, après un tel outrage, demandait à l’ardeur d’un généreux courage : tu n’as fait le devoir que d’un homme de bien ; mais aussi, en le faisant, tu m’as appris le mien.
A travers ces diverses paroles, je comprenais à présent quelle femme j’allais épouser. Figure de courage et de gentillesse, elle incarnait aussi une justesse infinie. Cependant, elle ne pouvait pas refuser d’accomplir son devoir, alors que son père venait d’être tué et son honneur bafoué. Je lui offrais une opportunité énorme en me présentant dans sa maison, résigné à mourir. Ne pas la saisir serait une faute impardonnable. Mais avec une grâce énorme et une générosité sans fin, elle révéla une vérité qui m’avait échappée jusqu’à maintenant.
- Va, je suis ta partie, et non pas ton bourreau.
J’étais abasourdi. Ce n’est pas en me tuant simplement qu’elle pourra apaiser la colère de son père. Pour cela, il faut qu’elle me poursuive, et ensuite me tue. Moi, qui avait fait de même avec le père de mon amour, pourquoi être étonné qu’elle l’ait compris elle aussi ? Encore un de ces mystères du monde que personne ne résoudra. Moi, il était évident que je ne pouvais pas me résoudre à partir. Elle me dit avec pitié qu’elle ne me haïssait point. Une dernière fois, je tentais ma chance. Mais en empruntant encore un chemin plein de détours, ma bien-aimée me donna tort, une fois de plus.
- Va-t’en, m’ordonna la belle.
Il est vrai que je me demandais quand même à quoi se résolut Chimène. D’après elle, malgré notre amour vif, elle me traquera pour assouvir la vengeance de son père. Cependant, elle préfèrerait ne rien pouvoir faire. Il en était de même pour moi. Ô, miracles d’amour ! Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères !
- Rodrigue, qui l’eût cru ? Que notre heur fût si proche et sitôt se perdit ?
Ah, vie injuste ! Nous qui étions promis l’un à l’autre, contraint à s’éloigner, et à s’entre-tuer pour l’honneur, à cause d’un soufflet ! Elle me pria une dernière fois de partir, et je m’exécutai. Je sortis tout d’abord de la pièce, en ayant pris soin de dire adieu à mon amour. Elvire, lorsque je sortais, rentrais dans la salle. Je passai le palier de la porte. Aucun regard, je ne me retournai point. J’étais trop occupé à verser des larmes, en courant dans la nuit …
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